LES ECHOS |
Article de Margueritte LAFORCE | 7 octobre 1992 |
Les
groupes multimarques acquièrent droit de cité Au cours de ces trois dernières
années, la quasi-totalité des constructeurs, Citroën excepté, ont en effet
confié leur panonceau à des groupes familiaux ou financiers multimarques. Des
décisions souvent prises l'épée dans les reins... En France, qu'ils soient financiers
comme SCOA à 49,9 % dans le giron de Paribas ou strictement familiaux, les
groupes continuent d'occuper une place modeste dans la distribution
automobile. Ils réalisent 12 % des immatriculations de voitures neuves à
travers 3 % des points de vente, estime Franck
Giaoui, du conseil en stratégie Bain et
Compagnie. La société de crédit Cofica tombe sur
des chiffres voisins puisqu'elle a recensé à travers l'Hexagone une centaine
de groupes représentant environ 15 % des immatriculations de voitures neuves.
Aucune comparaison avec les 45 %
d'immatriculations encore contrôlées outre-Manche au début de la décennie par
des mastodontes tels Inchcape, Lex,
AFG... ou avec les megadealers du type Penske, Potemkine, JKJ... qui, aux Etats-Unis,
représentent 30 % des ventes. A la veille du grand marché européen, la France
se trouve ainsi dans un cas de figure intermédiaire entre la Grande-Bretagne
et l'Allemagne où les PME familiales règnent toujours en maîtres. Cette situation est le fruit d'une
évolution assez récente qui continue de privilégier les groupes familiaux. Et
parmi eux, les distributeurs ayant choisi de faire confiance à une seule
marque. Sur la centaine de groupes présents en France, la Cofica
considère que la moitié répond à cette définition contre deux ou trois voici
dix ans. L'autre moitié pratique le « multi-marquisme
» (plus de quatre marques dans au minimum quatre sites) ou «
multi-exclusivité » puisque chaque marque bénéficie d'installations qui lui
sont propres. Accélération
en vue Selon Philippe Barthélémy, directeur
commercial de cette société de crédit, la quasi-totalité des constructeurs,
Citroën excepté, ont « craqué au cours de ces trois dernières années et
confié leur panonceau à des groupes familiaux ou financiers multimarques ».
Des décisions prises « l'épée dans les reins » pour pallier les défaillances
de certains concessionnaires traditionnels. Les difficultés souvent
rencontrées lors des successions de ces entreprises, ajoutées à la
dégradation de la rentabilité de nombre de réseaux, devraient encore accélérer
le mouvement. Mais les concédants donnent encore
plus ou moins ouvertement leur préférence aux groupes familiaux monomarques dont l'existence demeure très liée à leur
propre devenir (Neubauer, Luchard...).
Viennent ensuite les groupes
qualifiés de « professionnels » par Michel Le Paire, PDG de VAG France, car
même s'ils travaillent pour plusieurs marques, leurs capitaux restent
d'origine familiale. Ces structures sont surveillées de près par les
constructeurs les plus puissants. Ils craignent, en effet, que les bénéfices
générés par leur marque ou leurs efforts (marketing, formation...) profitent
à un ou plusieurs de leurs concurrents moins bien placés. En revanche, ils
apprécient d'avoir affaire à des hommes financièrement impliqués dans les
entreprises qu'ils dirigent et reconnaissent leur fidélité à une activité qui
comporte beaucoup d'aléas. La
peur d'être débordé Enfin, il y a les groupes financiers
multimarques. Ce n'est pas un hasard s'ils demeurent marginaux en France
malgré l'assez bonne représentation de la CICA (groupe Pinault) et de la SCOA
(groupe Paribas) chez Peugeot pour des raisons historiques et chez Mercedes.
Les industriels de l'automobile les craignent car ils peuvent les arbitrer du
jour au lendemain en faveur d'activités plus lucratives que la distribution
automobile. Expérience vécue par Maurice Kniebihler, PDG de General Motors France Automobiles,
lorsque Jean-Louis Pétriat, arrivant à la
présidence de la Garantie Mutuelle des Fonctionnaires, a décidé de faire une
croix sur la distribution automobile. La GMF avait alors signé cinq contrats
avec Opel. Maurice Kniebihler reste cependant très
ouvert à la montée en puissance des groupes, tant financiers que familiaux. Mais cet argument en dissimule un
autre beaucoup plus important: les constructeurs craignent de ne plus pouvoir
un jour contrôler « l'incarnation sur le terrain de leur marque », selon
l'expression de Jacques Calvet, président de PSA Peugeot Citroën. Et de se
retrouver face à des interlocuteurs en situation d'exiger, par exemple, de
meilleures marges bénéficiaires. Pour éviter d'en arriver là,
plusieurs solutions. Ou refuser d'accueillir des groupes multimarques,
spécialement lorsqu'ils sont financiers. Ce qu'autorise le règlement 123.85
accordant à l'automobile le bénéfice de la distribution exclusive, mais cela
apparaît de moins en moins tenable. Ou, à l'image de Renault, poser toute une
série de garde-fous. Dans le domaine financier,
l'ex-Régie prévoit que chaque concession Renault soit constituée en société
juridiquement indépendante et rattachée à un sous-holding spécifique. En
matière de management, elle demande que les responsables de ses points de
vente soient bien identifiés et stables. Elle refuse, en outre, la présence
dans le même territoire d'une concession appartenant au même groupe mais ne
portant pas le losange. Une
double pression Dans l'Hexagone, y compris chez les
constructeurs les mieux représentés, le multimarquisme
acquiert donc petit à petit droit de cité. Sous une double pression. Celle de
distributeurs décidés à ne plus lier l'avenir de leur patrimoine à celui
d'une seule marque, certains conservant d'ailleurs en mémoire les drames
provoqués par la fusion des réseaux Peugeot et Talbot. Celle d'une
conjoncture difficile qui exige de coopérer avec des partenaires aux reins
d'autant plus solides que le coût des installations croît avec la
sophistication des équipements (le lancement d'une concession neuve de taille
moyenne coûte environ 6 millions de francs en infrastructures et équipements
divers, et 4 millions pour le fonds de roulement, les stocks...).
Professionnels de la gestion, les constructeurs attendent d'eux aussi qu'ils
tirent le meilleur parti de leur taille et profitent de leur surface
financière pour capitaliser les concessions portant leurs couleurs. Toutes choses que Claude Dumas-Pilhou, PDG de la CICA, présente effectivement comme des
attraits des groupes financiers. Et de réclamer en contrepartie que les
industriels de l'automobile « adoptent une attitude réellement partenariale
», en communiquant mieux leur stratégie à moyen terme pour que leurs
distributeurs puissent s'organiser plus efficacement. Les clivages qui se manifestent à la
simple évocation du multimarquisme et du
développement des groupes financiers vont probablement s'estomper dans les
prochaines années. Pour Maurice Kniebihler et
Michel Le Paire, concessions isolées, groupes familiaux monomarques
et multimarques et groupes financiers - sans parler des succursales et
filiales des constructeurs - finiront pas coexister pacifiquement. A leurs
yeux, chacune de ces organisations répond, en effet, à un type de demande de
la clientèle automobile et à un besoin du constructeur que l'on ne peut se
permettre de négliger. |