REFLETS ESSEC
MAGAZINE | Juillet 2011 |
L’Afrique, « nouvelle frontière » pour le développement
économique de l’Europe ? Trop
longtemps victime des idées héritées du passé, l’Afrique montre aujourd’hui
un nouveau visage et prouve qu’elle mérite désormais une place de choix dans
la stratégie d’investissement de toute entreprise internationale. Plusieurs
pays africains ont radicalement modernisé leur tissu économique depuis une
vingtaine d’années. L’éclairage de Franck
S. Giaoui, fondateur et associé-gérant de Hera Finance. Un
réservoir de croissance méconnu Le PIB africain est passé de 461
milliards de dollars en 1970 à 1.669 milliards de dollars en 2010 ; soit une
croissance proche de celle de l’Asie. Les économies se développent rapidement
grâce à quatre secteurs très concurrentiels : la construction, les télécoms,
la finance et le commerce international. Ces secteurs complètent les secteurs
traditionnels qui se modernisent : l’agriculture associée aux industries
agroalimentaires, l’extraction-transformation des matières premières et le
tourisme. On estime que dans une dizaine d’années la classe moyenne
représentera environ 300 millions de personnes en Afrique, soit sa taille
actuelle en Chine. Des
belles opportunités dans une demi-douzaine de secteurs et une dizaine de pays Malgré la crise économique, la
croissance africaine reste très supérieure à celle des économies développées
; en 2010 elle était de 4,5% contre 1,8% dans la zone euro. Dans les nouvelles
technologies, sur la période 2008-2013, la croissance annuelle moyenne y sera
comparable à celle de l’Asie, selon Gartner Group. Sur le marché de la téléphonie mobile,
les souscriptions ont été multipliées par trois au Maroc, par douze en
Tunisie et par cinquante-huit en Algérie, depuis dix ans ! Le nombre
d’internautes a doublé en cinq ans. La percée fulgurante de la téléphonie
mobile entraine celle de la publicité. Selon Zenith Optimedia, le marché
publicitaire en Afrique et au Moyen Orient a doublé entre 2006 et 2012. Sur
ce marché, l’Egypte a bénéficié de la première croissance mondiale avec +364%
en 2009 et l’Afrique du Sud figurera à la 16ème place mondiale avec 5,6
milliards de dollars en 2012 ; le Nigeria suivra. Des
obstacles réels mais franchissables, pour les entreprises européennes D’abord, malgré les efforts affichés
par les gouvernements et les progrès démocratiques réels dans plusieurs pays,
notamment en Afrique du Nord, la corruption est toujours présente avec son
corollaire, l’insécurité. De plus, si la proximité culturelle du continent
vis-à-vis de l’Europe est un facteur positif, la connaissance du tissu
relationnel local reste cruciale. Pour ces deux raisons, il est prudent de
procéder par acquisitions, joint-ventures ou partenariats avec des acteurs
bien implantés localement. Ainsi, Unilever a développé un partenariat
public-privé en Afrique du Sud, où il travaille avec les organismes
gouvernementaux à la production durable de paprika. Ensuite il est important de vérifier
la législation en matière d’investissements étrangers et de contrôle des
changes. Ainsi, si la Tunisie s’oriente vers une libéralisation du « private
equity », en Algérie depuis 2009, un investisseur étranger ne peut détenir
que 49 % du capital d’une société de projet et la loi établit un droit de
préemption pour l’État algérien en cas de cession des actifs détenus. Cela
n’a pas découragé le groupe Bel qui, en ouvrant une usine à Alger, a vu son
marché augmenter de 50%. La qualité de la main d’oeuvre est
aussi primordiale : l’Afrique Centrale subsaharienne accuse encore un déficit
en matière de main d’oeuvre qualifiée et d’encadrement. Une solution consiste
à délocaliser l’encadrement sous forme d’expatriés formateurs des
collaborateurs locaux - solution adoptée par exemple par les chinois – ou,
mieux encore, de former des cadres africains. Les infrastructures de transports,
encore hétérogènes, rendent difficile l’acheminement des biens physiques.
Deux réponses peuvent être apportées : localiser les unités de production en
zone urbaine ou péri urbaine ; choisir des secteurs peu sensibles au
transport (télécoms, finance, médias ou logiciels). Ce n’est toutefois pas un
hasard si les pays les plus en pointe dans la construction des
infrastructures de transport sont aussi ceux qui exportent le plus en Afrique
: Chine, Japon, Allemagne… Enfin et surtout, il est indispensable
d’adapter l’offre à l’usage et au pouvoir d’achat locaux. Pour cela, il faut
réduire la complexité des produits techniques qui doivent être : ·
fabriqués avec le
minimum de pièces, ·
simples à
assembler, à utiliser et surtout à maintenir, ·
« packagés » avec
un service de remplacement qui en garantit l’usage en cas de panne. IBM vend
des logiciels dix dollars par mois et par utilisateur ; l’idée est de
compenser les petits prix et le faible niveau de dépense mensuelle des
consommateurs par un fort volume de vente et des coûts de commercialisation
réduits. Pour toutes ces raisons, il est
recommandé aux dirigeants désireux d’investir en Afrique de se faire accompagner
pour : ·
identifier les
meilleures cibles d’acquisition ou de partenariat et négocier avec elles ; ·
recruter et former
l’équipe d’encadrement locale ou assurer le management de transition ; ·
être activement
représenté au conseil d’administration des sociétés dans lesquelles ils
prennent une participation. Une
longue liste de « success stories » Les « success stories » sont déjà
nombreuses en Afrique, qu’elles soient issues de partenariats avec les
multinationales, ou purement entrepreneuriales. Dans
les télécoms : Zain, opérateur de
téléphonie mobile koweïtien fondé en 1973, a été racheté par l’indien Bharti
Airtel en 2010. Portant sur 40 millions de clients africains, la transaction
s’est élevée à plus de 10 milliards de dollars, soit 2,6 milliards de plus-value
pour les actionnaires de Zain. Dans
la finance : L'Afrique est le
continent où le paiement par téléphone mobile rencontre le plus de succès.
M-PESA, filiale de Vodafone, est un porte-monnaie électronique implanté en
Afrique de l’Est. En mars 2009, M-PESA comptait déjà 6,8 millions
d'utilisateurs enregistrés au Kenya. Dans
l’agro-alimentaire : Cevital, groupe
algérien fondé en 1998 par Issad Rebrab, pèse aujourd’hui près de 2 milliards
de dollars de chiffres d’affaires et emploie 12 000 personnes. Il se place
ainsi au troisième rang du secteur en Afrique, juste derrière deux géants
sud-africains. Les multinationales ne sont pas en
reste. Ainsi Nestlé, installé depuis 1927 en Afrique y réalise un chiffre
d’affaires de 2,6 milliard d’euros, possède 26 usines et emploie 14 000
personnes. En 2010, le groupe a lancé un programme d’investissements de 893
millions d’euros, sur trois ans, avec pour objectif de produire localement.
De son coté, Danone renforce sa présence dans la zone Afrique du Nord - Moyen
Orient, où il réalise un chiffre d’affaires de 1 milliard d’euros. Dans
les matières premières : Sam Jonah,
originaire du Ghana, commence comme manoeuvre dans une mine d’Ashanti
Goldfields. Grace à une bourse, il obtient un diplôme de troisième cycle en économie,
en Grande-Bretagne. Puis, il retourne travailler pour Ashanti et devient en
1986 le premier Noir africain à diriger la société depuis sa création. Suite
au rachat, par la firme sud-africaine AngloGold en 2004, Sam Jonah fonde
Jonah Capital, un fond d’investissements. De
nombreuses opportunités Il est grand temps que les
entrepreneurs européens actualisent leurs idées sur l’Afrique. Les exemples
d’entreprises ayant brillamment réussi ne manquent pas, et elles ne sont pas
uniquement chinoises ou indiennes. De nombreuses opportunités s’offriront à
ceux qui sauront, les premiers, choisir les partenaires adaptés. Les marchés
africains, aussi riches que dynamiques, sauront stimuler la croissance de
leurs affaires et la motivation de leurs équipes. |