PRIVATE EQUITY
MAGAZINE | numéro 6 | Juillet 2005 |
INTERMÉDIAIRES
SPÉCIALISÉS Conseiller au mieux
les entreprises familiales Franck S. Giaoui, fondateur
dirigeant de Hera Finance, revient sur la difficulté, pour une banque
d’affaires, de valoriser par exemple certains groupes familiaux non cotés
lors de leur transaction avec un fonds d’investissement. Les groupes familiaux peuvent
présenter un profil spécifique. Un placement privé, un mandat de vente ou
d’achat, le montage d’un Lbo doivent
donc s’y faire en connaissance de cause. Notre banque est intervenue
récemment pour un groupe possédant des marques connues dans une vingtaine de
pays, réalisant quelques centaines de millions de chiffre d’affaires, en
croissance, avec une structure financière saine. Ce groupe, qui avait vu le
jour dans les années 50 avant de connaître un développement rapide, a perdu
son fondateur dans les années 90, laissant à la direction son fils en binôme
avec l’autre associé fondateur, minoritaire. Le fils du fondateur a d’abord
réussi à racheter les parts du minoritaire, et à cette occasion, a constitué
un tour de table avec des fonds de capital développement, en parallèle de la
levée d’une dette senior. Cette entrée au capital s’est faite assez
rapidement et sans véritable négociation, le jeune dirigeant n’étant pas
familiarisé avec le monde de la finance. Quelques années plus tard, la
liquidité des investisseurs financiers devant être assurée conformément au pacte
d’actionnaires, le dirigeant et actionnaire majoritaire décide, pour
reprendre les parts des fonds, de s’adjoindre les services d’un conseil
spécialisé, en l’occurrence Hera Finance, préféré à une grande institution. La première tâche de l’intermédiaire
est alors de s’imprégner de la culture de l’entreprise : celle des groupes
familiaux repose souvent sur une vision industrielle à long terme des
actionnaires, ce qui induit un style de management. Il faut du temps et de
l’humilité au conseil extérieur pour gagner la confiance du dirigeant, et
travailler efficacement avec lui, sans jamais s’y substituer. Une banque
d’affaires indépendante adopte peut-être naturellement cette approche…
D’autant qu’elle est elle-même souvent dirigée par un entrepreneur. Rechercher
la bonne méthode La deuxième mission, celle du mandat,
est de négocier les conditions de la transaction : dans ce deal de gré à gré,
il s’agissait de voir avec les investisseurs financiers les conditions de
leur sortie. Le prix d’une telle société étant difficile à déterminer : il
faut «créer» un marché qui n’existe en fait pas. Mettre en œuvre une valorisation
multicritères relève alors d’un formalisme technique assez complexe.
Rapidement, aucune des différentes méthodes envisagées n’est apparue pertinente
en tant que telle dans la valorisation de ce groupe : il n’y avait pas de
transaction réalisée sur des sociétés comparables en taille ou en activité;
le niveau de la décote d’illiquidité applicable aux multiples boursiers dans
le secteur était discutable ; la valorisation par actualisation des cash
flows futurs s’avérait peu adaptée à un investisseur sortant… Au bout de trois mois, les discussions
étaient dans l’impasse. Les valorisations entre notre client (acheteur) et
les fonds (vendeurs) allaient du simple au double. Pour éviter que ces
discussions ne ressemblent à celles de «marchands de tapis», il fallait
trouver une nouvelle méthode, à la fois objective (peu sujette aux biais
personnels) et endogène (se référant essentiellement à la société en
question), qui mette tout le monde d’accord. C’est ainsi que fut proposée la
méthode «entrée-sortie» : elle consiste à calculer les multiples de
valorisation opérationnels et financiers implicites lors de l’entrée au capital des
investisseurs, et à les appliquer aux mêmes agrégats d’aujourd’hui (CA, Ebit,
Résultat net, MBA) pour obtenir la valorisation correspondante. Cette méthode
doit réduire l’écart entre les exigences des deux parties : rassurer
l’acheteur tout en garantissant au vendeur un TRI suffisant. Avec un écart
résiduel de moins de 30 %, la négociation a ainsi été débloquée et a pu se
conclure en fonction de la volonté réelle des parties. Au final, le client
acheteur a obtenu un prix inférieur de 15 % au plafond qu’il s’était fixé… En parallèle, à l’achat, il est
intéressant que le conseil soutienne son client dans le choix d’un financement. C’est également une phase
délicate dans la mesure où elle nécessite de bien connaître le marché des
banques commerciales, et de savoir intelligemment les mettre en concurrence.
Cela suppose d’accompagner le dirigeant dans sa présentation du dossier de
Lbo ou d’investissement, en mettant notamment en valeur les atouts du groupe
: structure financière saine et belles perspectives de croissance rentable.
Dans le cas étudié, pour obtenir un bon taux d’intérêt, des sûretés
raisonnables et surtout conserver les interlocuteurs habituels, nous avons
convaincu chacune des banques d’envisager cette opération non pas comme un
financement de haut de bilan mais comme un prêt moyen terme traditionnel. Le chef d’une entreprise familiale
hésite souvent à faire entrer des fonds d’investissement dans son capital.
Soit il souhaite rester «seul maître à bord», soit il craint que ses
actionnaires financiers ne l’obligent ensuite à entrer en Bourse ou – pire –
à céder à un industriel concurrent. De plus, l’opportunité de céder à un
industriel ne se présente pas souvent et l’introduction en Bourse n’est pas
toujours pertinente pendant la durée d’investissement d’un actionnaire financier.
Favoriser le financement de la croissance tout en permettant à la société de
rester indépendante et aux fonds de sortir dans de bonnes conditions peuvent
donc être conciliables. |