LA TRIBUNE | 6
avril 2004 Pactes d’actionnaires
et investisseurs par Franck S. Giaoui, fondateur et
dirigeant de Hera Finance, professeur visitant à l’Essec. Les pactes d’actionnaires signés à
l’occasion de l’entrée d’investisseurs financiers dans le capital d’une
entreprise stipulent presque toujours une clause de liquidité pour ces
investisseurs. La mise en œuvre d’une telle clause peut s’avérer
particulièrement délicate pour le dirigeant et actionnaire majoritaire d’une
entreprise familiale. En effet, celui-ci est souvent démuni face à la
compétence ou aux conseils stratégiques et financiers dont s’entourent à
raison les fonds d’investissement. Pour rééquilibrer la négociation et
parvenir à une transaction dans les meilleures conditions, le dirigeant peut
lui aussi s’adjoindre les services d’un conseil spécialisé en confiant un
mandat à une banque d’affaires. Même si cela n’est pas explicite
dans le mandat, il s’agit d’abord de s’imprégner de la culture de
l’entreprise. Il faut du temps et de l’humilité au conseil externe pour
gagner la confiance du dirigeant et travailler efficacement avec lui, sans
jamais se substituer à lui. Une banque d’affaires indépendante adopte
naturellement cette approche des choses. Elle est d’ailleurs d’autant plus
crédible auprès d’un groupe familial qu’elle est elle-même dirigée par un
entrepreneur. Dans le cadre de son mandat, le
banquier conseil doit négocier avec les investisseurs financiers les
conditions de leur sortie. La transaction intervenant de gré à gré, il faut
créer un marché ex nihilo. Mettre en œuvre une valorisation
multicritère de la société relève d’un formalisme technique assez complexe.
Souvent, aucune des méthodes traditionnelles ne permet à elle seule de tomber
d’accord sur la valorisation de l’entreprise : il n’y a pas de transactions
réalisées sur des sociétés vraiment comparables en termes de taille et
d’activité, le niveau de la décote d’illiquidité
applicable aux multiples boursiers des sociétés du secteur est discutable,
enfin la valorisation par actualisation des cash-flows futurs est peu adaptée
à un investisseur sortant. Pour éviter les « discussions de
marchands de tapis », il faut trouver une méthode à la fois objective (peu
sujette aux biais personnels), endogène (se référant essentiellement à la
société en question) et qui mette tout le monde d’accord. C’est ainsi qu’est
développée et proposée la méthode « entrée-sortie » : celle-ci consiste à
calculer les multiples de valorisation opérationnels et financiers implicites
lors de l’entrée au capital des investisseurs, et à les appliquer aux mêmes
agrégats d’aujourd’hui (CA, Ebit, résultat net,
MBA) pour obtenir la valorisation correspondante. Cette méthode permet de
réduire l’écart entre les exigences des deux parties, en rassurant l’acheteur
tout en garantissant au vendeur un taux de rendement interne suffisant. Avec un écart résiduel de moins de
30 % la négociation est débloquée et elle peut se conclure en fonction de la
volonté réelle des parties. En parallèle, il est nécessaire de
mettre en place le financement du rachat des minoritaires. C’est une phase
délicate dans la mesure où elle nécessite de connaître le marché des banques
commerciales et de les mettre en concurrence tout en préservant la qualité de
la relation avec les interlocuteurs habituels. Cela suppose d’accompagner le
dirigeant dans la mise en valeur des atouts de son entreprise : structure
financière saine, perspectives de croissance rentable… L’objectif est double
: obtenir un très bon taux d’intérêt ainsi que des sûretés raisonnables. Au-delà de sa maîtrise technique et
de son expérience de la négociation, la valeur ajoutée du banquier d’affaires
réside donc essentiellement dans la création d’un marché lorsqu’il n’en
existe pas naturellement, comme c’est souvent le cas pour les actions
d’entreprises familiales. Cela est vrai tant en mandat acheteur (cas décrit
ci-dessus) qu’en mandat vendeur ou en placement privé. Par ailleurs, beaucoup de chefs
d’entreprise familiale hésitent à faire entrer des fonds d’investissement
dans leur capital. Soit ils tiennent à rester seuls maîtres à bord, soit ils
craignent que leurs actionnaires financiers ne les obligent à entrer en
Bourse ou à céder à un industriel pour assurer la liquidité de leur
investissement. De plus, même si elle est parfois souhaitée, l’opportunité de
céder à un industriel ne se présente pas souvent et l’introduction en Bourse
n’est pas toujours pertinente pendant la durée limitée d’investissement d’un
actionnaire financier. Notre expérience montre que ces possibilités de sortie
pour les investisseurs financiers ne sont pas les seules. L’actionnaire
majoritaire et dirigeant d’une entreprise familiale saine peut ainsi financer
sa croissance, rester indépendant et, dans le même temps, assurer aux fonds
une liquidité rentable de leur investissement. |